She came from Planet Claire

27 Mar


Voilà, je suis sur la piste encore vide, la foule se rue par les portes théâtrales de ce lieu parisien qui fait remuer bien des popotins. Ambiance noir années 80, avec DJ stylés et salle capitonnée. Je danse sur ce vieux tube de OMD, synthé/pop/batterie/top, pieds légers et queue de cheval oscillante. Derrière moi un projecteur, devant moi mon ombre : j’étends les bras pour qu’elle ait une forme de croix, ondulante et floue sur les bords.

Un groupe de trois filles se trémoussent sur ma droite, collants soigneusement filés pour un effet afterBad à la Paris Hilton, jupes courtes, chaussures montantes, décolletés plongeants sur misère mammaire. Le tout en noir, comme leurs cheveux : effet corbeau garantit. Elles lancent des regards à droite, à gauche, comme de petits hameçons destinés aux garçons. Contretemps : aucuns n’est vraiment sur la piste de danse.

Une Barmaid aux formes généreuses danse derrière le comptoir, sur un air d’aventurier. Un garçon de salle passe régulièrement ramasser tous les petits cadavres exsangues d’alcool que nous laissons traîner. Les videurs tournent de temps en temps, tous avec des bouchons d’oreilles colorés. Invisible organisation qui prend en charge tous nos travers pour une soirée réussie.

Un gars, casquette et oeil mauvais, se colle à sa blonde peroxydée dans un kollé serré, et trahi ses émotions dans la bosse révélatrice déformant son jean. Un couple, largement cinquantenaire chacun, cherche un canapé où poser Madâme. Deux hommes s’embrassent langoureusement, appuyés sur le bord de la scène, sous les yeux effarés d’une jeune femme qui voit partir en fumée son fantasme d’un soir… La nuit nous met face à nos manques.

La musique n’en finit pas d’emplir nos têtes. Nous la suivons plus ou moins harmonieusement, attentifs à ne laisser échapper aucun bourrelet afin d’offrir une image parfaire à la rétine de ceux qui nous observent. Mes ballerines sautillent sur le plancher, je remonte le flux des notes les yeux fermés, la tête baissée, le coeur ailleurs.

Sortie cigarette : tamponnage d’une libellule sur la main par un videur fatigué. J’entame une discussion avec jeune homme travaillant dans l’animation cinématographique, ennuyeux car s’ennuyant. Un homme me stoppe lors de mon retour en salle : il me parle comme un médium de choses que je dois savoir. Je ne veux en savoir qu’une, mais il refuse de me répondre : il reviendra vers moi, plus tard, est-ce que je ne sais pas déjà comment cela fonctionne ? Si, je le sais : jamais aucunes réponses sur mes pourquoi.

Je regarde mes amis danser, tous suivent le même fil : nous sommes entre nous au milieu de la foule, nos barrières s’abaissent, le plaisir de fatiguer nos corps sur le son dispensé généreusement éclaire nos visages d’une joie jubilatoire. Nous partageons bien plus qu’un moment, qu’une partie, qu’une soirée : nous partageons ce pain qui ne fait plus notre quotidien.

Je descends un étage, m’insinue dans la foule, arrive au centre : au centre de quoi, je ne le sais, mais c’est là. A coté, un très beau garçon, grand, sur lequel glissent un nombre infini de regards masculin ou féminin. Indifférent aux œillades parfois indécentes qui parcourent son corps, il danse en surplombant la foule de son regard acier, absent. Il y a comme toujours un petit brun qui se prend pour Ricky Martin, trempé de sueur dans sa chemise sans manches façon bucheron canadien, qui tente de t’embarquer dans un rock improbable.

Petit à petit la piste s’éclaircit. Une fille embrasse un garçon, lentement et en fermant les yeux. Elle tient son sac et son manteau. Ils s’échangent un long regard suivi d’un sourire complice. Elle tourne le dos, les battants des portes se referment sur elle et ses illusions : il entreprend déjà une nouvelle conquête. Son départ, comme tant d’autre, lance le ballet pressant de ceux qui restent et ne veulent rentrer seuls… Infinie solitude de l’humain.

Il est l’heure de partir : la musique bourdonne encore à mes oreilles. Nous descendons les escaliers du métro, j’accompagne Andy Chou dans sa rame, puis je pars vers la mienne. La sortie principale s’ouvre sur une aube grisâtre : j’avance vers ma rue pavée d’intentions diverses. La grille grince lorsque je la pousse, résumé simpliste de cette soirée dansante. Ma salle de bain m’accueille pour une halte décrassage bien méritée. Je monte dans ma mezzanine de luxe, ma tête se pose sur l’oreiller, je ferme les yeux : le sommeil sans rêve me prend dans ses bras, m’offrant le confort tout relatif de l’oubli provisoire.

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